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Perdus dans l'immensité de la plaine de l'Alentejo (zone rurale du centre sud du Portugal), entre le village et le domaine des oliviers, " la maison des riches ", des gens simples vivent, travaillent, pensent : José, berger et personnage central de la première partie du récit, qui sera jusqu'à sa fin tragique, tourmenté par le soupçon, éveillé par le diable dans la taverne de judas quant à l'infidélité de sa femme ; les jumeaux siamois, Moïse et Elie, indissociables jusqu'à la mort ; la cuisinière et ses plats suggestifs , l'écrivain, qui écrit sans relâche dans une maison sans fenêtres.
Trente ans plus tard, leurs descendants évoluent dans un temps qui semble se perpétuer, inchangé, malgré le passage des années. Ils sont écrasés eux aussi par le soleil intense, la sécheresse et leur destin sans issue.
Et le monde s'arrête. Tout disparaît. Il ne reste plus rien. Pas un sourire - Pas une pensée - Pas un espoir - Pas une consolation - Pas même un regard.
in La Factory
Sans un regard, roman de José Luís Peixoto, est un des ces livres qui donnent un sens à l'acte de lire, à l'alignement de mots sortis d'une machine. Ce sentiment de plénitude, que l'on ne ressent qu'épisodiquement au feuilletage de Télé Star (et notamment du numéro spécial Noël, même si Céline Dion nous présente ses recettes de réveillon préférées) confine ici à la jouissance. Traduit du portugais, porté à nous par un auteur d'à peine trente ans (mais le livre avait paru dès 2000 dans son pays d'origine), cet ouvrage fascinant est fait d'une poésie et d'une mélancolie qu'on n'aurait jamais imaginé aussi bien ensemble.
Ce livre, ce presque chef d'œuvre, est triste. Il est fait de métaphores, de phrases qui surprennent tellement elles ne sont pas banales. Pas de clichés qui prennent la poésie pour des traits qui remplissent les colonnes de Nous Deux ou les prompteurs de la Star Academy, mais des images sans cesse inventées, sans cesse émouvantes. José Luís Peixoto crée un univers comme il crée une façon de décrire la lenteur, le manque, le silence, l'absurdité de tout et notamment de la vie. Ses personnages – comme extraits d'un "bestiaire" mais terriblement humains – n'ont que de petites histoires de village à raconter, mais ils prennent aux tripes. Frères siamois, prostituée aveugle, bergers et Diable se croisent, et pourtant rien n'est factice. Ce n'est pas Big Fish, de Tim Burton, dans lequel les héros étranges n'apportaient rien d'autre que leur étrangeté. On est ici plus près de Freaks, de Tod Browning, transposé dans une campagne sans Dieu, sans espoir, sans regard.
Et si la poésie s'évapore un peu vers la fin du roman, remplacée par une noirceur presque exagérée – mais comment imaginer que la quasi perfection narrative des deux cents premières pages ne s'essouffle pas, d'autant qu'elle garde une respiration intense, des mots qui sèchent la gorge – elle pousse encore à regarder ce livre comme une surprise enchantée, inattendue. Bon sang, quel talent ! Ce roman est superbe, et confirme que la littérature portugaise, comme sa cousine la littérature sud-américaine, recèlent des auteurs qui n'en finissent pas de nous ébouriffer les sens. Bienvenue dans notre monde.
Par José Luís Peixoto
Alors que j'écrivais Sans un regard, je n'étais pas certain de parvenir à achever l'écriture d'un roman. Chaque page était un pas à l'intérieur d'un territoire que je ne connaissais pas sinon par mes songes vagues d'aspirant écrivain, de personne aspirant à achever l'écriture d'un roman. C'est peut-être pour cette raison que, je crois, les premiers romans sont dans la plupart des cas faits de personnages et de mondes que nous charrions en nous pendant bien des années. Pour moi, c'est ainsi que cela advint. Pendant les années 1997 et 1998, je donnais des cours d'anglais à 80 km de chez moi. Pendant les heures que je passais à conduire, j'avançais tout autant sur la route d'arbres et d'eau que sur les routes intérieures où je trouvais ce que je connaissais et où, en même temps, je découvrais les nouveautés de ce monde constamment neuf. Ce fut sur cette route, extérieure et intérieure, que je rencontrai les personnages de Sans un regard et engageai la conversation avec eux. Clarté et mémoire.
Aujourd'hui, où que je me trouve au Portugal, j'ai toujours de la peine à expliquer où se situe le petit bourg où je suis né. Il est aussi inaccessible et isolé que celui du roman, et c'est sous son ciel que j'ai appris les mots. En donnant la main à ma mère pour marcher jusqu'à la place, en cherchant des amis dans la campagne avec des garçons de mon âge ou dans la scierie de mon père quand nous étions tous vivants, j'ai appris les mots et les sens qui devaient me permettre d'écrire Sans un regard. Ensuite, le temps et la vie ont passé. Les jours ont passé où j'écoutais mon parrain, plus que centenaire, me parler de personnages d'un temps ancien, beaucoup plus bizarres que les siamois attachés par le petit doigt, que les géants hauts comme trois hommes, beaucoup plus bizarres que le diable. Les jours aussi ont passé où je jouais au ballon dans la rue et où, de temps à autre, nous arrêtions la partie et nous postions, au bord de la chaussée, sérieux, le ballon sous le bras, pour assister au passage d'infinis troupeaux de moutons. Quand j'ai rêvé d'écrire un roman, ce bourg et tous les regards, les larmes et les horizons qui le composent étaient la matière que je connaissais le mieux et où vivait la mémoire profonde de tout ce qui m'était le plus important.
C'est sur la place de ce bourg qu'une fois par mois, j'attendais la bibliothèque itinérante. C'était une voiture rouge qui arrivait chargée de présentoirs, où je choisissais les cinq livres que je pouvais lire dans le mois. Il furent nombreux, les auteurs qui m'ont montré que les mots pouvaient convoyer les contours et la vérité de mondes, d'années et de regards. Je lisais ces livres avec la pureté de celui qui respecte leur saveur, de celui qui croit en leurs mots. Nous disions " les livres " comme si nous parlions d'une chose inaccessible dictée par des personnes inconcevables. En écrivant Sans un regard sans la certitude de parvenir à achever l'écriture d'un roman , mon rêve était que mes pages pourraient un jour se retrouver sur le présentoir d'une bibliothèque itinérante, une voiture rouge, et, sur une place, tomberaient entre les mains d'un garçon prêt à les lire en toute pureté.
Depuis, et encore aujourd'hui, quand quelqu'un m'interroge sur ce qui influence mon écriture, j'ai presque la certitude que les mots que me disait ma grand-mère quand nous étions assis au soleil ont été plus importants pour moi que tout ce que j'ai lu de Dostoïevski. La mère de ma mère ne savait guère écrire autre chose que son nom. Mais elle savait plus important. Elle savait beaucoup des secrets de la vie. Aujourd'hui encore, j'arrive à entendre sa voix. Elle me parlait des mystères de la terre et des gens. Elle me parlait en mots simples qui étaient le centre d'une vérité essentielle. Aujourd'hui encore, quand j'écris, j'arrive à entendre la voix de ma grand-mère sous l'ombre du soleil.
Alors que j'écrivais Sans un regard, j'ai assisté à la naissance de mon premier enfant et accepté la mort de mon père. J'ai appris lentement, il n'y a pas d'autre façon, que la vie et la mort sont la terre et le ciel, qu'elles sont le sang et la lumière, le temps et l'obscurité, la joie et la déroute, la peur et l'amour. Alors que j'écrivais Sans un regard, j'ai appris à croire que seuls les miracles sont dignes d'être déposés dans le creux de la main de ceux que nous aimons, j'ai appris que c'est seulement pour eux que nous pouvons écrire et que les mots vrais sont des miracles qui se donnent dans le creux de la main.
Astrid de Larminat - Le Figaro
Un premier roman qui s'achève en même temps que le monde, voilà qui en dit long sur les ambitions de son auteur, José Luis Peixoto, âgé de 26 ans lorsque le livre parut au Portugal, il y a quatre ans. L'ultime chapitre est une apocalypse sans combat, les personnages ferment les yeux par lassitude, et le monde s'éteint. Peixoto, dont la figure porte encore des traces de l'adolescence, n'a plus les enthousiasmes brouillons de celle-ci.
Dans ce roman où il ne se passe rien car le temps ne passe plus. Comme la phrase, il piétine, répète, ressasse : le rythme n'est pas sans rappeler celui de la récitation pieuse, incantatoire ou machinale. Point de date, point de lieu-dit, le récit s'ouvre avec José et se ferme sur José. Le père d'abord, le fils, trente ans plus tard... Si jeune et si désespéré, José Luis Peixoto ? C'est justement l'accablement de qui ne parvient pas à s'arracher à l'enfance, ce temps béni «où tu étais tellement ma mère» songe le fils. Toute sa douleur est dans ce «tellement» qui nous empoigne à notre tour. L'amour d'une femme ranime, un temps, l'innocence. Mais «le rêve m'a trompé de pouvoir être encore l'enfant que je fus, qui passait les jours à courir dans la campagne et mesurait les champs avec ses bras».
L'Enfance sinon rien : c'est le cri premier d'un écrivain qui porte haut le flambeau de la jeune littérature de son pays.
Pauline Perrignon - Télérama
Dans une improbable contrée, José est hanté par le diable, qui, à chaque détour d'un verre de vin, lui susurre : «Ton épouse n'est pas celle que tu crois...»... José Luís Peixoto, poète et nouvelliste, signe là un ouvrage qui semble n'appartenir à aucun genre. Ou à tous. Certaines de ses phrases en effet pourraient être des vers, certains passages, pris isolément, ont des allures de nouvelle, de conte macabre, sans commencement ni fin, car le glas sonne à chaque page... Un livre en forme d'écorchure, oppressant et fascinant.
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