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Figaro, 21/02/2008
Par Astrid de Larminat
Voilà un roman qu'on ne peut pas lire les pieds sur terre. Et dans un premier temps, il faut bien l'avouer, cette expérience déstabilisante est presque déplaisante. Si l'on n'avait su que José Luis Peixoto, 34 ans, avait déjà fait la preuve qu'il était un grand écrivain, peut-être aurait-on déclaré forfait au bout de cent pages. On se serait privé d'un rare bonheur, cette sorte d'extase que l'on ressent lorsqu'on touche à une vérité existentielle inaccessible à la raison seule.
Rien d'éthéré ni d'abscons pourtant dans ce récit où s'enchaînent des tableaux de famille : des matinées de soleil dans la cuisine, les visages autour de la table, le sourire des enfants, le fameux cimetière de pianos, sorte de « casse » où l'on puise des pièces pour réparer d'autres pianos. Décors immuables : seuls l'apparition d'un réfrigérateur et d'une TSF marque le temps qui passe.
Car c'est de cela qu'il s'agit : du temps qui passe et en même temps ne passe pas. Pour rendre sensible ce paradoxe, Peixoto retrace l'histoire d'une famille sur trois générations. Le grand-père, sa femme, leurs petits-enfants, leurs quatre enfants. L'aïeul relate une partie de l'histoire, allant et venant entre futur et passé : il commence par le récit de sa propre mort, poursuit avec des scènes qui se tiennent trois ans plus tard, quand son fils cadet s'apprête à courir le marathon aux Jeux olympiques de Stockholm. Les va-et-vient s'accélèrent : il évoque sa rencontre, solaire, avec la jolie demoiselle qui est devenue sa femme ; puis le mariage de sa fille aînée, la naissance de cette même fille ; le soir où il a frappé sa femme en rentrant de la taverne…
Les passages, d'une page ou deux, se succèdent, mêlant les temps comme ils sont mêlés en chacun de nous, à rebours de toute chronologie. Soulignant aussi, en accolant des scènes que plusieurs années séparent, l'inconstance des êtres, qui s'aiment à la folie un jour, puis se trompent ou se maltraitent, sans cesser pourtant de s'aimer…
Deuxième narrateur du roman, son fils - à moins que ce ne soit son père : les deux se ressemblent étrangement. Fransisco Lazaro va tomber mort d'épuisement au 30e kilomètre du marathon. En courant, il se souvient de son enfance, par fragments, hachés comme sa respiration, s'interrompant au milieu d'une phrase, la reprenant plus loin. Il se remémore un après-midi radieux en famille ; le jour où il éborgne son frère en jouant ; le trousseau de sa grande sœur avec sa soupière en faïence, puis le jour où le mari de sa sœur casse la soupière en faïence dans un accès de rage… Il se rappelle surtout sa jeune femme qui attend leur premier enfant, leur rencontre paisible ; et la pianiste qu'il a connue au même moment, un amour brûlant.
En marge de cette histoire chahutée, le cimetière des pianos demeure, « à côté du temps » : c'est là que les jeunes amours trouvent refuge ; c'est là qu'une petite fille parle à son grand-père, celui qui raconte ladite histoire…
C'est aussi le lieu emblématique de ce qui se joue entre pères et fils : « Je regardais les pianos morts et songeais aux pièces qui ressuscitaient dans d'autres pianos, et je croyais que toute la vie pouvait être reconstruite de cette façon. Mes fils grandissaient et devenaient des garçons comme je l'avais été il y avait si peu de temps. Le temps passait. Et j'étais certain qu'une part de moi comme les pièces des pianos morts continuaient d'agir en eux. » Un roman de chair et de lumière qui lève un coin de voile sur les mystérieux versets du chapitre 17 de l'Évangile de Jean placés en épigraphe.
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